Démarchage téléphonique: allier respect des bonnes pratiques et liberté du commerce

Encadrement du démarchage téléphonique, indicatifs utilisés par les centres de contacts… Patrick Dubreil, président du conseil d’administration du SP2C, revient sur l’actualité juridique du secteur dans @Relation Client Mag

Où en est la proposition de loi visant “à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux”?

Cette proposition a été adoptée à l’Assemblée nationale le 6 décembre 2018 et examinée en première lecture par le Sénat le 21 février 2019. Le texte doit revenir à l’Assemblée nationale mais aucune date d’examen ne semble encore fixée. Le SP2C affirme son soutien total et complet sur tout le volet ” lutte contre les appels frauduleux “, qui vise à renforcer les contrôles et les sanctions et à promouvoir le dispositif Bloctel. En effet, l’image du “télémarketing sortant” est ternie par des pratiques non-réglementaires et non-déontologiques. Les adhérents du SP2C respectent les un code de bonne conduite, s’imposent de nombreuses restrictions et sont donc favorables à un contrôle renforcé.

Quelles sont ces restrictions?

Elles visent par exemple les horaires d’appels, la transparence de l’objet de l’appel, l’information donnée au consommateur sur Bloctel, le recueil de son refus de sollicitation, le nombre de sollicitations sur une période donnée… Certaines entreprises, peu scrupuleuses, ne respectent pas ces contraintes et l’on peut identifier hélas des pratiques marginales assimilables à de l’escroquerie qu’il convient bien évidement de sanctionner.

Quelle est votre position concernant le premier volet de la proposition de loi, consacré à l’encadrement du démarchage téléphonique?

L’objet des débats porte sur l’article 5, qui modifie substantiellement le Code de la consommation. À l’heure actuelle, un consommateur inscrit sur Bloctel peut être joignable par une entreprise dont il est client à la condition qu’il préexiste entre eux une relation contractuelle. Cette notion est, certes, ambiguë car elle couvre imparfaitement les différentes situations de relation client à distance mais elle donne un cadre auquel les parties se conforment. L’Assemblée nationale, via des après échange avec les associations de consommateurs, a adopté en remplacement de la formule ” sauf en cas de relations contractuelles préexistantes “, ” à l’exception des sollicitations ayant un rapport direct avec l’objet d’un contrat en cours “. Cette formulation est beaucoup plus restrictive et revient à interdire le cross-sell. Le SP2C, ainsi que toutes les organisations professionnelles touchées (AFRC, FVD, FEVAD, SIST, SNCD…) mettent le législateur en garde: le principe de la liberté du commerce implique de pouvoir fidéliser un client en lui proposant des produits ou services complémentaires à son premier achat. Cela est d’autant plus préoccupant que les adhérents du SP2C contactent à 80% des consommateurs déjà clients de leurs donneurs d’ordres.

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Par quels biais avez-vous réagi et quel est le bilan de votre mobilisation?

Le SP2C et plusieurs associations professionnelles se sont mobilisés sur deux thèmes cruciaux: l’entrave à la liberté de commercer et les 56000 emplois liés aux appels sortants en France. Le SP2C pour sa part compte 15000 collaborateurs dédiés en France à cette activité. À cela s’ajoutent les centres internes et par exemple les artisans, les agences immobilières, entreprises de service qui toutes proposent des produits ou services complémentaires à leurs clients par téléphone.

Lors de l’examen au Sénat, Monsieur André Reichardt a été nommé en tant que rapporteur. Ce sénateur a visité le centre d’appels sortants de l’un de nos adhérents dans les Hauts de France et a effectué un véritable travail d’écoute de toutes les parties prenantes (salariés, clients, management), avant d’émettre une recommandation réfléchie sur la suppression de cet article 5. Simultanément, le SP2C a écrit à 170 sénateurs comptant des centres externalisés sur leur circonscription pour expliquer les tenants et aboutissants de cette modification. Au final, le Sénat a rejeté l’article 5. Il s’agissait d’une mobilisation essentielle pour la profession mais la partie n’est pas terminée, puisque le sujet revient devant l’Assemblée. Nous craignons que cette suppression ne soit remise en cause.

Autre sujet réglementaire, l’interdiction par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) d’utiliser un préfixe français pour une entreprise située à l’étranger. Qu’en est-il?

L’Arcep a entrepris un travail de modernisation du cadre réglementaire du plan national de numérotation et a fixé au 1er août de cette année la mise en oeuvre d’un certain nombre de mesures, qui nous amènent à modifier nos pratiques concernant notamment les règles de numérotation pour joindre les consommateurs. Ainsi, il ne serait plus possible, à compter du 1er août, de régionaliser un appel venant de l’étranger [utiliser un préfixe régional français], sauf si l’émetteur est identifié par le réseau des opérateurs téléphoniques. Les consommateurs considèrent en effet cette pratique comme de la trompeuse. Par ailleurs, il est aujourd’hui difficile pour les autorités de remonter jusqu’aux entreprises visées par des plaintes via Bloctel.

Qu’est-ce que cela implique pour les organisations telles que le SP2C?

Sur proposition de l’Arcep, le SP2C a officiellement saisi la Fédération Française des Télécoms pour mettre en place un dispositif de type “white list“: quand un appel provient de l’international, le numéro serait reconnu et attribué à une entreprise référencée, qualifiée et respectant les règles Bloctel. Ainsi, son appel pourrait être acheminé. Dans le cas contraire, l’appel serait rejeté ou le numéro serait accompagné d’un indicatif spécifique. Nous allons étudier à brève échéance la faisabilité technique de ce système de “white lists” et nous pourrons ainsi lier les numéros qu’utilisent nos adhérents avec la parfaite transparence et les engagements de bonne conduite de nos entreprises.

L’Arcep souhaite également encadrer les “systèmes automatisés d’appels”. Est-ce réaliste?

L’Arcep cite quatre cas. Le premier est la tentative d’appels répétés sur un temps court afin que le numéro de l’émetteur s’affiche dans les appels manqués. Nous nous interdisons strictement cela. Le deuxième vise la diffusion de messages préenregistrés dès le décroché. Nous condamnons également. Vient ensuite la diffusion de messages textuels par SMS/MMS, que nous réprouvons. Enfin, l’Arcep souhaite encadrer l’utilisation de systèmes d’assistance capables de composer automatiquement des numéros. Or, cela sert à optimiser la productivité des téléconseillers, notamment en pleine journée afin de limiter la sollicitation des consommateurs le soir. Cet outil est indispensable à l’activité et à la viabilité économique des centres de contacts et il nous faut mieux l’expliquer à l’Arcep.

Quel bilan après le rejet de l’amendement à la loi Pacte consacré à la délocalisation des centres d’appels?

Cet amendement a été déposé dans le cadre de la loi Pacte en juin 2018 par le député Luc Mendes, il visait initialement à mettre en oeuvre un dispositif d’information du consommateur de la localisation du centre prenant son appel. L’amendement a été rejeté par le gouvernement mais nous craignons qu’il revienne sous une forme de proposition de loi émanant du Sénat ou de l’Assemblée nationale. Ce thème a ressurgi récemment dans la presse sous la forme d’une “tribune sur l’avenir des call centers français“, reprenant les propositions du député Luc Mendes, à l’initiative d’une agence d’influence. S’y ajoutent les signatures d’un certain nombre de parlementaires et d’organisations syndicales.

Quelle est votre analyse concernant ce sujet?

Les entreprises adhérentes du SP2C et leurs filiales emploient 32000 personnes en France et 40000 via leurs filiales francophones, le nombre total de salariés externalisés travaillant en français est estimé à 55000 sur principalement 10 pays francophones. L’équation est donc complexe car économique, sociale et diplomatique. Sur le plan économique, l’ “offshorisation” partielle de la relation client ces dernières années a permis aux donneurs d’ordre au travers d’offres compétitives de donner du pouvoir d’achat aux consommateurs. Une modification de ce modèle d’affaire avec l’augmentation drastique de ses couts reviendrait à reprendre du pouvoir d’achat ou à grever la compétitivité des entreprises qui externalisent. Aucune des deux voies ne semblent viables dans le contexte actuel.

Sur le plan de l’exécution, il faudrait si tant est que cela soit possible réinstaller des centres au sein de bassins d’emploi français, dans lesquels nous rencontrons déjà des difficultés de recrutement et de flexibilité opérationnelle. Dans les faits, ce ne serait donc pas un agent humain en France mais bien un agent conversationnel doté d’IA, qui remplacerait le conseiller “délocalisé” puis dans un second temps en toute logique le conseiller basé en France. Les conséquences sociales iraient donc dramatiquement à l’inverse de l’idée initiale. Enfin, une annonce de relocalisation des emplois aurait une véritable incidence diplomatique. Après des années de partenariat et d’investissement de nos entreprises au Royaume du Maroc, par exemple, où travaillent 30000 téléconseillers, une soudaine suppression des emplois aurait des répercussions d’abord sociales puis économiques extrêmement dommageables.

Au vu de ces enjeux, Le SP2C a sollicité la Direction Générale des Entreprises (DGE), dédiée au sein du Ministère de l’économie et des finances à la compétitivité afin de solliciter son soutien. Nous avons été entendus: la DGE a ouvert une concertation sur l’avenir de la relation client en France, dont la réunion de lancement a eu lieu lundi 18 mars à Bercy. Ses conclusions, qui doivent être rendues avant l’été, porteront sur trois thèmes essentiels: les relations donneurs d’ordres-prestataires, l’impact de la transformation numérique sur notre secteur d’activité et enfin l’attractivité des métiers la profession. Les groupes de travail ont été constitués et lancés. Le SP2C et l’AFRC font partie des organisations pilotes de ces travaux.

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